C’EST QUOI L’ÉLEVAGE URBAIN ?

Vision et méthode de La Bergerie Urbaine

L’élevage urbain, selon nous, c’est une manière de valoriser les espaces naturels présents dans les villes à des fins nourricières. C’est aussi entretenir écologiquement ces espaces, tout en leur donnant un rôle central dans le cadre de vie des habitants. Ce type d’élevage, par son urbanité, agit au plus proche de la population et se veut vecteur de lien social et de pédagogie. Néanmoins, il fait face à des enjeux spécifiques : foncier morcelé, besoin accru de sécurité, absence de subventions agricoles, etc. Ici, La Bergerie Urbaine présente son modèle d’élevage, ses inspirations et sa vision d’une ville vivante.

Pâturage itinérant à St-Priest

Texte : Bastien Massias – Illustrations : Marion Sardat – Photos : La Bergerie Urbaine

Au XIXème siècle, les villes autoproduisaient une grande majorité de leur alimentation grâce à une agriculture urbaine et péri-urbaine efficace. Les animaux étaient présents pour l’élevage, le transport, et le recyclage des déchets organiques, servant directement à fertiliser des ceintures maraîchères en périphérie.

Aujourd’hui, les espaces naturels urbains sont trop souvent perçus comme de simples lieux esthétiques sans réels usages. Ils représentent pourtant 40% de la métropole du Grand Lyon (soit plus de 21.000 ha) et sont essentiels pour adapter nos villes au réchauffement climatique, à l’érosion de la biodiversité et au besoin grandissant de « nature » exprimé par les citadins.

Sans prôner un retour en arrière, nous voyons dans ces espaces naturels urbains bien plus que de simples lieux paysagers. Lorsqu’ils sont gérés de manière agricole, ils apportent une grande diversité de fonctions bénéfiques aux villes : production alimentaire, enrichissement de la biodiversité, sensibilisation et pédagogie autour des enjeux environnementaux, création d’emplois, stockage de l’eau et réduction des îlots de chaleurs, bien-être des habitants, qualité de l’air…Pour nous, l’élevage urbain c’est donc transformer la ville par la pratique d’une agriculture respectueuse des humains et de l’environnement.

Nous travaillons pour prendre soin du vivant qui nous entoure, et pour cela, nous sommes constamment attentifs à l’évolution du climat, à l’état des sols et à la quantité de ressources disponibles. La santé des animaux est essentielle et nous surveillons au quotidien l’évolution de nos prairies afin de les nourrir sainement et travailler durablement dans un écosystème complexe.

Les moutons sur une de nos bergeries

Par la pratique d’un élevage en plein air intégral, les moutons ont un régime alimentaire exclusivement composé d’herbe (sans céréales ni compléments alimentaires) et les agneaux sont sevrés naturellement sous leur mère. Grâce à l’aromathérapie, la phytothérapie, la prévention par l’observation quotidienne et l’alimentation, nous évitons l’usage de traitements vétérinaires classiques (vaccins, vermifuges, antibiotiques), sauf en dernier et ultime recours. En complément, des tests cliniques sont régulièrement effectués pour s’assurer que tout va bien (coproscopie, analyses de laine, prises de sang).

Ce modèle d’élevage urbain s’inscrit dans une pratique millénaire en perpétuelle évolution, à savoir l’agriculture. Il se distingue néanmoins par son urbanité et fait donc face à des enjeux bien spécifiques. Parmi eux, le besoin accru de sécurité pour le troupeau, la méconnaissance de l’agriculture urbaine et particulièrement de l’élevage, l’absence de subvention agricoles dédiées aux initiatives urbaines, et par-dessus tout l’accès au foncier qui est une préoccupation permanente.

En effet, l’urbanisation a morcelé les espaces naturels, rendant presque impossible toutes pratiques d’élevage telles qu’on les imagine en ruralité. Face à ce constat, l’élevage urbain doit adapter ses méthodes de pâturage pour fournir toute l’année une alimentation saine et en quantité suffisante aux animaux..

Construction de lotissements dans les Monts d’Or entre 1950 et 2010 (Nicolas Ferrand, 2012).

La Bergerie Urbaine a donc fait le choix d’une complémentarité entre gestion pastorale (entretien des espaces naturels, grâce au pâturage d’herbivores, permettant d’accéder au foncier urbain) et pâturage itinérant (parcours à la journée où les animaux sont déplacés sur les parcs, friches et pieds d’immeubles afin de compléter les apports alimentaires du troupeau). Cette complémentarité permet à La Bergerie Urbaine de s’inscrire pleinement sur son territoire et d’y valoriser, malgré leur morcellement, les espaces naturels présents.

Ci-dessous, une description plus détaillée de ces deux activités essentielles à notre conduite d’élevage.

La gestion pastorale, pour une ville écologique et nourricière

Au quotidien, nous effectuons une gestion pastorale sur des espaces naturels (prairies, sous-bois, friches) appartenant à des collectivités, campus, structures sociales, acteurs privés, etc. Par une activité d’élevage urbain, nous entretenons ces espaces de manière agricole et écologique.

Pour les structures accueillantes, la présence des moutons est une manière à la fois utile et poétique de valoriser leurs sites et leurs activités. Cela crée des ambiances apaisantes pour les résidents qui sont ravis de côtoyer les animaux au quotidien.

Cette gestion pastorale permet d’avoir accès à des hectares pâturables toute l’année. Avec un troupeau de 40 moutons, ce sont environ 12 hectares que La Bergerie Urbaine peut entretenir à l’année. Les espaces qui nous sont confiés sont essentiels car ce sont eux qui nourrissent les animaux au quotidien.

Globalement, par cette pratique, c’est une transformation des espaces naturels urbains qui s’opère, passant d’une fonction esthétique, paysagère, à une fonction agricole et nourricière. Ceci est aussi bien bénéfique à la souveraineté alimentaire du territoire qu’à la préservation de la biodiversité et la valorisation du quartier.

Nous moutons en résidence pastorale dans une friche de Villeurbanne qui accueillait ensuite une programmation culturelle.
Gestion pastorale dans un lycée du quartier de La Duchère (Lyon 9ème)

Nos gestions pastorales peuvent s’effectuer au quotidien, sur des espaces sécurisés, mais aussi de manière plus ponctuelle auprès d’acteurs voulant entretenir une prairie tout en animant le quartier sur plusieurs jours. Dans ce cas-là, et en absence de sécurité, la présence d’un berger 24h/24 est indispensable pour assurer le bien-être des animaux

Pour effectuer une gestion pastorale efficace et durable, nous pratiquons la méthode du pâturage tournant dynamique : des filets mobiles électrifiés délimitent le parc des animaux et sont déplacés fréquemment pour optimiser la repousse de l’herbe et limiter le tassement du sol. Cette méthode requiert du temps mais présente l’avantage de pouvoir gérer les prairies de manière très réactive, évitant ainsi le sur-pâturage ou le sous-pâturage qui impacterait leur fertilité. Cette technique permet également de s’adapter au mieux aux parcelles urbaines, plus petites que les prairies rurales et donc plus rapidement épuisées.

Les parcelles en ville peuvent également intégrer une diversité d’usage (espaces paysagers, détente, aires sportives, refuges de biodiversité, etc.) et les filets mobiles permettent de s’adapter à toutes ces contraintes.

Gestion pastorale à Collonges aux Monts d’or

Malgré cette gestion pastorale, l’accès à l’herbe reste un enjeu majeur en zone urbaine et nos prairies, seules, ne suffiraient pas à nourrir toute l’année un troupeau grandissant.

Ainsi, nous pratiquons le pâturage itinérant, qui par le déplacement du troupeau dans les espaces verts urbains à proximité, donne accès à une quantité et une diversité importante de ressources fourragères. Cela permet de nourrir les moutons uniquement à l’herbe et d’aller rencontrer les habitants, procurant ainsi une multitude de bénéfices socio-environnementaux sur les territoires où nous passons (sensibilisation, lien social, apaisement, etc.).

Le pâturage itinérant, pour une ville vivante et apaisée

Afin de nourrir les animaux et s’inscrire pleinement sur un territoire, nous pratiquons le pâturage itinérant. Cela consiste à déplacer à pied le troupeau sur des espaces naturels urbains tels que les parcs, les friches et les pieds d’immeuble. Des bergers guident le troupeau sur plusieurs kilomètres et cheminent dans la ville via les trottoirs et les passages piétons. Par cette pratique, les animaux trouvent une alimentation riche et diversifiée. C’est une manière de préserver leur bonne santé tout en économisant nos prairies.

Cette pratique est facilitée par à la loi Labbé de 2017 qui interdit l’utilisation de produits phytosanitaires dans les espaces publics.

Pâturage itinérant à Caluire et Cuire, en face de la Cité Internationale

En plus de l’aspect agricole, les pâturages itinérants en ville présentent de nombreux bénéfices socio-environnementaux. Le déplacement du troupeau permet de rencontrer les habitants, créer du lien social et sensibiliser aux enjeux agricoles et environnementaux.  

La présence des moutons en ville créé des ambiances atypiques et chaleureuses extrêmement propices à l’apaisement, la pédagogie et la rencontre. Les habitants viennent partager un moment avec les bergers, les enfants découvrent ce qu’est un mouton et l’ensemble du quartier s’anime, naturellement, au rythme des animaux. Nous aimons décrire le pâturage itinérant comme une réelle « fabrique à sourires ».

Pâturage itinérant dans un quartier de St-Fons

Tous ces moments de vie sont pour nous l’occasion de partager nos expériences et nos connaissances des enjeux agro-écologiques, de questionner quant à la place de la nature en ville et de sensibiliser à l’alimentation éthique. En bref, la surprise créée par la présence des moutons amène tout un imaginaire d’une ville vivante et nourricière.

Du fait des bénéfices sociaux et de la surprise que créent les pâturages itinérants, ils sont souvent réalisés dans le cadre d’animations pédagogiques auprès de communes, bailleurs sociaux, associations, etc. Ces transhumances urbaines financent notre association et sont une part importante de son modèle économique. En quelque sorte, elles permettent de se passer des subventions agricoles européennes.

Le pâturage itinérant permet également à La Bergerie Urbaine d’avoir un lien fort avec les habitants et de rayonner sur son territoire.

Pâturage itinérant à Vaulx en Velin

Pour habituer les animaux aux stimuli urbains (enfants, voitures, vélos, chiens, …), nous avons réalisé un long processus de domestication. Les bergers ont passé leur quotidien avec les animaux, les ont sortis, d’abord sur nos sites sécurisés puis sur des parcours plus longs, plus urbains et plus fréquentés. Aujourd’hui, nos moutons respectent le code de la route, apprécient les caresses et sont ravis de trouver de nombreuses plantes fraiches sur leur passage.

Nous sommes fiers de nos moutons et très attachés à eux. C’est une relation forte et particulière qui est née et qui permet à La Bergerie Urbaine de réaliser ses activités.

Depuis 2019, ce sont plus de 250 pâturages urbains qui ont été réalisés sur 29 communes de la Métropole lyonnaise. Ces pâturages ont touché des dizaines de milliers de personnes.

Carte des pâturages de La Bergerie Urbaine réalisée en Mai 2020 par Flora, bénévole de l’association

Inspiration : Clinamen et les Bergers Urbains

Depuis 2012, l’association Clinamen a initié une pratique nouvelle en banlieue parisienne, à savoir un élevage urbain réalisant des pâturages itinérants. Par la suite, la coopérative Bergers Urbains a repris les activités de pâturage itinérant, jusqu’à organiser avec la métropole du Grand Paris une transhumance de 140km en juillet 2019. Ces initiatives ont été d’une grande inspiration pour La Bergerie Urbaine et l’expérience de nos ainés parisiens nous aide tous les jours !

www.association-clinamen.fr www.bergersurbains.com

Les Bergers Urbains lors de la Transhumance du Grand Paris, 2019

Un élevage de moutons vendéens à échelle humaine

L’élevage de La Bergerie Urbaine est fortement ancré dans les valeurs de l’agriculture paysanne : troupeau à taille humaine, élevage en plein air, soins préventifs et naturels, usage très limité de la mécanisation, valeurs de partage et de lien avec les habitants, …

En 2019, nous avons d’abord acheté 12 brebis et 1 bélier à un éleveur certifié de race vendéenne. Après quelques mois, nos brebis ont donné naissance à 16 agneaux, permettant ainsi d’agrandir le troupeau, entretenir plus de surfaces en gestion pastorale et commencer à obtenir une production agricole (viande et laine).

Une brebis vendéenne de La Bergerie Urbaine

Nous avons choisi la race vendéenne pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est connue pour ses qualités maternelles et sa docilité, point essentiel dans une optique de pâturage itinérant et d’animation pédagogique. De plus, c’est une race habituée à une alimentation riche en azote du fait de ses origines nord-européenne. Ceci est idéal pour assimiler les prairies urbaines régulièrement tondues et comprenant donc essentiellement des jeunes pousses très azotées. Ce mouton présente également de très bonnes qualités bouchères. Enfin, sa beauté nous a fait craquer. Le gris souris de ses pattes et son visage en font un mouton magnifique, parfaitement adapté à l’élevage urbain.